C'est la rentrée littéraire ! Oui mais laquelle ?
- julierauletpro
- 14 août
- 4 min de lecture
Réflexion intime sur la concentration de la production éditoriale
Le grand bal de la rentrée littéraire commence. C'est le moment de l'année où nous entendrons parler davantage de littérature. Ce pourrait être un moment de joie, de découverte, d'ouverture aux autres et à une littérature inventive, étonnante, une véritable fête littéraire. Et pourtant... C’est surtout un bal de courbettes !
La rentrée littéraire est essentielle dans l’économie et le calendrier des acteur·ices du livre : maisons d’édition, librairies, auteur·ices. Tout d’abord, il s’agit d’un enjeu économique de taille. Les libraires et les maisons d’édition misent sur certains livres plus que sur d’autres. Les médias s’inscrivent dans ce moment phare de l’industrie du livre en publiant beaucoup plus d’articles et en mettant en lumière la littérature dans différentes émissions télévisuelles ou radiophoniques. Ces prescripteurs inévitables donnent la tendance des ventes et de la popularité à venir des ouvrages. De même que les prix littéraires. Économiquement, ce sont des mois charnières pour les acteur·ices du livre. La rentrée littéraire prépare aussi les achats de fin d’année. Combien d’entre nous ont acheté le dernier Goncourt à Tata Ginette qui aime lire mais on ne sait pas trop quoi ? Ou ont offert à leur compagne ou leur compagnon le livre dont iels ont entendu parler dans diverses émissions de radio ?

Cette année, la rentrée littéraire voit pointer sur les tables des librairies pas moins de 484 nouveaux romans entre août et septembre. Parmi ces 484 romans, vous n’entendrez parler que de quelques titres seulement, d'une poignée auteur·ices, toustes issu·es de grands groupes éditoriaux, à quelques exceptions près. Ultra-médiatisés, sélectionnés dans tous les prix littéraires, une trentaine ressortiront. Souvent des auteur·ices connu·es, deux ou trois primo-romancier·ères. Loin de moi l’idée de dénigrer la qualité littéraire de ces textes, mais ils offrent de plus en plus un paysage littéraire soigneusement épuré, lisse, sans aspérité. Ils participent à la surcapitalisation du livre et du fonctionnement de la chaîne du livre, au profit de grands groupes éditoriaux qui concentrent une partie toujours plus importante de la production. À cela s’ajoute une rentrée littéraire de plus en plus égo et ethnocentrée, tant la littérature étrangère se vend peu et est de moins en moins visible sur la scène médiatique comme dans les librairies et les médiathèques.
Ma réflexion autour de la rentrée littéraire et de l’uniformisation du monde du livre a commencé avec ce constat : je n’étais plus surprise. J’aimais toujours lire des textes plaisants, dont je reconnaissais les qualités. Mais je n’étais plus emportée, bouleversée, tiraillée. Mes émotions de lectures s’appauvrissaient, se concentrant sur quatre d’entre elles, tout au plus. Là où la littérature m’a construite, éveillée, je me retrouvais dans un attentisme, et une façon de lire qui n’avait plus à voir avec la vie mais davantage avec une activité d’observatrice blasée, un peu comme je regardais une vidéo de chien mignon sur internet. Une activité pour passer le temps.
C’est là que j’ai décidé de me surprendre moi-même (et croyez-moi en tant que libraire, ce n’est pas une mince affaire !) Aller voir là où je n’allais pas, dans les recoins des livres oubliés, des acharnés de la littérature qui tirent difficilement leur épingle du jeu, des livres moches (oui certaines couvertures sont ratées, mais ce sont parfois les plus beaux textes que j’ai pu lire), de la littérature traduite depuis des langues minoritaires ou encore de la littérature francophone hors littérature métropolitaine. Et là, j’ai retrouvé le goût de la lecture. J’ai retrouvé le goût de l’autre, de l’altérité, de la bataille des idées, de l’étonnement, du dérangement des habitudes et des émotions, le grand chambardement d’une littérature vivante.

Toustes, nous avons notre part dans cette uniformisation et cette concentration. Libraires, nous pourrions devenir lucioles dans la nuit qui s’en vient. Faire résistance en défendant la littérature des lisières, des romans dont les médias ne parleront pas ou peu, faire découvrir à notre clientèle un rayon de lumière sorti des profondeurs de la terre. Bibliothécaires, nous pourrions faire vivre la diversité, offrir des regards nouveaux et soutenir une production hétéroclite pour faire de nos lieux des espaces populaires, ouverts, bigarrés. Lecteur·ices, nous sommes celleux qui avons la main pour faire échouer la standardisation de l’imaginaire collectif, pour que la littérature ait un impact dans nos vies communes.
Pour cela, La Hulotte vous propose de vous pencher sur vos lectures. Et si vous lisiez un livre sur deux dont vous n’avez jamais entendu parler ? D’une maison d’édition inconnue ? Professionnel·les, si vous mettiez entre les mains d’un·e lecteur·ice un livre issu de petites maisons d’édition indépendantes ? Si vous mettiez en avant sur vos tables des livres issus pour les trois quarts de cette production ?

Je sais que ce n’est pas le plus simple. Que cela demande un effort de chaque instant, que beaucoup de professionnel·les s’acharnent, se battent pour défendre la diversité dans le monde du livre depuis longtemps déjà. Mais je crois que nous pouvons faire mieux. En nous sortant aussi, en tant que lecteur·ices, de nos habitudes de lectures. En refusant la facilité d’aller piocher dans les livres qui se vendent, mais qui se vendraient / liraient sans nous. Nous représentons en tant qu’individu·es et en tant que structures cette diversité. Nous sommes incroyablement talentueux·ses, différent·es, volontaires, passionné·es. Mettons cette énergie au service de la richesse littéraire !
Alors, et si vous aussi décidiez de faire un pas de côté ?
Vous pouvez répondre à cet article en commentaire ou en m’envoyant un mail. Je vous demanderai cependant de le faire avec bienveillance. Le débat peut être acharné sans être violent, insultant, ou dénigrant. Si j’ai blessé l’un ou l’une d’entre vous, faites-le moi savoir, ce n’est pas volontaire ! J’ai hâte d’avoir un retour sur cette réflexion qui habite aujourd’hui mon travail dans sa globalité et oriente mes choix professionnels.



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